Vous êtes de ceux qui pensent que Sarkozy est le meilleur pour gouverner la France. Vous avez raison. Il est le meilleur — pour le faire croire. Dans une société qui produit ses propres rituels de vérité, Sarkozy est notre plus brillant prêtre. Il n’a nul besoin d’être compétent, sincère ou humain : il lui suffit de produire des effets de compétence, de sincérité et d’humanité. Pure manipulation ? Même pas, puisque tout est visible pour qui veut regarder. Tout est audible pour qui souhaite entendre.
En tant qu’écrivains de science-fiction et de fantasy, nous avons une vocation et, qui sait ?, une arme de construction massive : c’est de savoir mettre le son là où le bruit blanc règne et d’offrir un champ de visions là où l’image est fabriquée pour obliger notre perception. Nous avons aussi, souvent, ce don : savoir lire dans le réel ce qui le travaille, dans le présent ce qui tend à lui imposer un futur qui ne propose pas, pour la pensée et pour la vie, le moindre avenir. Notre appel ne vise pas à ajouter aux débats nos salves d’arguments antisarkozy, nos démonstrations chiffrées, nos faits précis et nos convictions actées : journalistes probes, citoyens et militants le font déjà, avec force et courage, avec brio parfois. Il vise à vous offrir une parole libre et multiple face aux matraquages monochromes. Une parole qui s’offre dans des microfictions dures, drôles, parodiques ou glaçantes, écrites au fil de l’urgence et qui dessinent des trajectoires de résistance en nous confrontant à ce qui nous attend. Mots de passe donc, plutôt que mots d’ordre.
Sur l’arc de nos sensibilités, au fil de nos débats internes, qui sont intenses, une dominante : pour nous, Nicolas Sarkozy est dangereux. Extrêmement dangereux. Dangereux pour les libertés publiques qu’il quadrille, réticule et canalise. Dangereux pour le corps social qu’il fractionne, stratifie et oppose bloc à bloc, communautés par communautés. Dangereux parce que la politique qu’il propose est parfaite pour permettre aux plus richement dotés en capital social, médiatique et financier d’appauvrir encore plus cruellement ceux que ce système broie. Sarkozy ne va pas hitlériser la société française. Arrêtons de crier au loup. Mais il l’hystérise déjà et demain, il nous thatchérisera. Avec sa tchatche. Narcose puis nécrose. Ce qui nous inquiète est moins la logique disciplinaire qu’il articule (la société française possède les anticorps contre cette maladie chronique) que la société de contrôle qu’il aménage, souterrainement, et avec toute la puissance de ses réseaux. Contrôle des médias et des idées, bien sûr — et beaucoup en sont déjà conscients. Mais au-delà, contrôle des affects et des percepts, qui déborbe toute capacité de résistance par la raison. Et ça, c’est réellement flippant.
Naturellement le pire n’est jamais sûr. Pourtant, aujourd’hui, avec Sarkozy, le pire, pour nous, est mûr.
Ce texte est donc un appel.
Du pied à ceux qui hésitent encore et sont séduits par le miroir qu’à chacune de nos peurs et à chacun de nos espoirs, l’UMP nous tend.
Du regard à nos complices qui sentent ce que le masque du professionnalisme, le ton nouvellement posé, le timbre désormais grave de la voix, les accents de sincérité impeccablement rôdés de Sarkozy cache de cynisme cru. Sarkozy nous communique. En nous parlant de « rêve français », il injurie notre art et insulte notre futur.
C’est aussi un appel de phares, sur une route 66 un peu trop déserte à notre goût et que l’UMP pave comme une Highway to Hell. Paint it red !
C’est un appel d’air, enfin, pour qu’au cœur de l’acier plein des slogans, du bois brut libéral dont ils ont fait une langue, une ouverture se fasse qui libère un peu de vie, de fraternité, d’échanges généreux et de métissages.
Alain Damasio, 26 avril 2007